Lorsque les ossements ont commencé à être transferrés en 1785 dans les anciennes carrières de la Tombe Issoire, Charles-Axel Guillaumot s’est contenté de les faire entasser avec une simple plaque pour rappeler leur origine.
C’est en 1809 qu’Héricart les fait “ranger avec autant d’art que de méthode” pour former des parois d’ossements décorées de crânes, comme il le précise dans un rapport du début de l’année 1810 [1].
C’est, a priori, avec la réalisation de la lampe Sépulcrale, l’une des premières volontés décoratives d’Héricart de Thury afin de rendre les Catacombes, qui ouvrent “officiellement” en juillet 1809, “digne de la vénération publique”.
Mais ces décorations d’ossements évolueront sans cesse, apparaissant, disparaissant, se transformant au fil des ans, très certainement selon la volonté du personnel de l’Inspection des carrières. Ainsi la modification la plus récente daterait des années 1980 ! En voici quelques-unes, parmi les plus originales réalisées dans les Catacombes.
Dès que l’on pénètre dans l’Ossuaire proprement dit, on circule entre deux hagues d’ossements constitués par tous les os longs (tibias, fémurs, etc.) dont on n’aperçoit que les apophyses [2]. Ces murs sont ornés de frises de crânes disposées à plusieurs hauteurs ; ces cordons horizontaux de crânes juxtaposés font saillie, et se détachent donc des surfaces verticales et planes des parois qu’ils « agrémentent » et décorent.
Voici la description que nous en donne Le Conducteur portatif de 1829 : « Les ossements sont symétriquement superposés et forment des plans alignés au cordeau entre les piliers qui soutiennent les voûtes des galeries. Trois cordons de têtes contiguës sont destinés à décorer ces singulières murailles et rompre leur uniformité et monotonie. Dans ce même ouvrage, l’on apprend par la même occasion que « L’autorisation de visite doit être signée de l’inspecteur général ou d’un des ingénieurs surveillants ».
Une vue de la fontaine de la Samaritaine avec les trois rangées de crânes par Jean-Baptiste Cloquet, sixième des huit gravures réalisées pour la Description des Catacombes de Paris d’Héricart de Thury
Pratiquement tout de suite à gauche après avoir franchi le second linteau du vestibule, celui gravé de Memoriae majorum – inscription que l’on trouve également au revers du linteau de sortie (car pouvant autrefois servir également de porte d’accès) – le visiteur remarque très souvent sur le parement de gauche de la galerie un décor particulier réalisé avec des crânes : ceux-ci sont disposés en forme de cœur.
Un cœur composé de crânes, photo de Christophe Fouin pour le musée Carnavalet
Mais ce décor est beaucoup plus récent qu’il n’y paraît, car sur une photo prise par Nadar en 1860, on remarque qu’à la place de ce cœur se trouvait une plaque aujourd’hui disparue (1), indiquant des ossements en provenance directe du cimetière de Vaugirard (dit aussi “cimetière de l’Ouest”), et qui ont été déposés dans les Catacombes en septembre 1859 lors de l’élargissement du boulevard extérieur (inscription numérotée 209 dans notre inventaire au Cherche Midi ou 139 chez Lemercier). Cette plaque est donc restée moins d’une année dans cette galerie et était toujours visible à un autre endroit vers le milieu des années 1870 puisque relevé par Lemercier.
Sa forme rappelle celle signalant les ossements provenant de l’ancien cimetière Saint-Nicolas des Champs (inscription 104 G au Cherche Midi ; ou L 127), lesquels avaient été déposés de 1843 à 1846 dans ce même cimetière de l’Ouest avant d’être également transférées à la même date dans les Catacombes.
Dans la masse à gauche, étayée dorénavant par une maçonnerie (2) sur sa droite (sur laquelle est fixée la flèche réglementaire indiquant la sortie de secours la plus proche), on peut voir que l’emplacement réservé comme pour l’apposition d’une plaque, est vide comme c’est toujours le cas de nos jours.
La fissure (3) qui zigzague au plafond, visible sur les deux photos, est déjà remplie de ciment du temps de Nadar, tandis que la plaque gravée au loin (4) signale aussi des ossements provenant de l’église Saint-Nicolas des Champs (inscription 7 G au Cherche Midi ou L 137). Mais ils ne firent qu’un bref passage dans le cimetière de Vaugirard, puisque arrivés en 1859 ils en repartirent au mois de septembre de la même année pour l’Ossuaire. Si la plaque est entièrement recouverte de peinture blanche sur la photo du XIXe siècle, son piédestal est aujourd’hui en partie peint en noir [3].
Nous n’allons pas ici vous montrer par la photographie où se trouvait la « grande roue » (1) en crânes aujourd’hui disparue, puisque nous avons levé le mystère dans notre livre précédent (reportez-vous à la page 79 de mon ouvrage The Catacombs of Paris, paru chez Parigramme en juillet 2011).
La crypte du Sacellum en 1857, 1897 et 1968
Mais nous en rappelons néanmoins la disparition suite à une modification de la structure porteuse de renfort (2) située juste en face de l’autel où étaient concélébrée une messe le jour des Morts (donc le lendemain de la Toussaint) jusqu’au milieu des années 1970, messes qui étaient organisées par la paroisse Saint-Dominique auprès de laquelle il fallait s’inscrire préalablement pour y assister, le nombre de places étant forcément limité.
En revanche attachons-nous à un autre décor exceptionnel réalisé à l’aide de crânes et d’os longs dont les épiphyses [4] ont été mis en relief : une reproduction de la tour Eiffel ! Nous n’avons pas encore beaucoup d’information à son sujet mais tout ce que nous savons actuellement, c’est qu’elle fut visible dans les années 1920. Nous ne savons pas à quelle date a été réalisée cette copie de deux mètres et quelques de haut de ce symbole éminemment parisien, ni de quand date sa disparition, encore moins qui est l’auteur de cette initiative. Rappelons que la tour Eiffel métallique a été construite pour l’exposition universelle de 1889 et qu’elle était terminée au mois de mars de cette même année.
La tour Eiffel en 1919 (cliché Bibliothèque Nationale de France) et l’état actuel à droite
La photographie de cette tour Eiffel squelettique provient d’un reportage photographique d’au moins une dizaine de vue, réalisé en 1919. Elle est aussi évoquée dans un article de la revue Sciences et voyages intitulé Sous le sol de Paris. Une visite aux Catacombes qui renferment les ossements de 5 millions de Parisiens [5], sans date mais signé Henri Darblin [6]. Pour ce reportage, c’est Joseph Loiret lui-même – Inspecteur général des carrières de 1924 à 1929 – qui guida et renseigna le journaliste qui rédigea alors : « On circule, interminablement, dans des galeries où les lampes jettent des lueurs tremblantes ; et les parois de ces galeries sont faites d’ossements, rangés avec une macabre régularité, les crânes alignés de niveau, les extrémités des gros os formant parfois des dessins en relief, où l’on reconnaît un profil de monument, la Tour Eiffel… ».
Un autre décor composé de crânes (en forme de grande arche) est lui aussi assez moderne car réalisé après le comblement d’une galerie qui débouchait un peu plus loin que la pierre tombale de Françoise Gellain (et était autrefois simplement fermée par une grille).
Cette galerie existait encore dans les années 1970 puisqu’elle est visible sur le plan de la brochure Les Catacombes de Paris de J. Tomasini publié vers les années 1970.
Photographie récente (fin 2010) de la grande arche de crânes (cliché d’Emmanuel Gaffard)
Au moins deux décors se sont succédé lorsque la galerie a été remplie d’ossements. L’un est visible sur la série de diapositives de Henri Baranger, intitulés Les Catacombes de Paris, en vente au début des années 80 (vue numérotée 9 dans la série de 10, 17 dans celle intermédiaire de 20, et 29 dans la grande série de 36), l’autre est présenté ci-dessous, c’est le motif actuel dont la croix diffère quelque peu.
[1] Rapport sur les travaux de recherche et de consolidation, des carrières de Paris et du Département de La Seine depuis la création de l’Inspection générale jusqu’à ce jour, suivi de la proposition des travaux à faire dans le cours de l’exercice de 1810. Par Louis-Etienne-François Héricart de Thury, Ingénieur des Mines, Inspecteur Général des Carrières.
[2] Éminence des os servant à leur articulation ou à des attaches musculaires (définition du CNRTL, comme la note 4)
[3] Un article est à venir sur ce sujet
[4] Chacune des deux extrémités renflées d’un os long, constituées de tissu spongieux
[5] Merci à Tristan de nous avoir transmis ce document !
[6] Journaliste, novelliste et romancier de l’entre-deux guerres et de l’après-guerre