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Continuons notre parcours poétique avec Le jour des morts dans les Catacombes de Paris, signé d’un mystérieux M… F……… Le V……
Publié dans le Mercure de France n° DCLIV [n° 654] du samedi 29 janvier 1814, pages 193-199, cet étonnant poème lyrique aborde plusieurs thèmes comme la brièveté et la vanité de la vie, le refus de la mort, l’exil de la noblesse et les excès de la Révolution française, etc.
L’auteur a utilisé de nombreux procédés littéraires telles que l’image ou l’allégorie et s’approche même au fantastique.
Les Catacombes sont mentionnées à de nombreuses reprises : l’Ossuaire, le transfert des ossements, l’autel des Obélisques et, sans doute, le monument des Massacres de 1792 (inscription 83D).
Nous avons conservé les fautes d’orthographe et typographiques de la publication originale : l’accentuation de nombreux mots est donc assez fantaisiste…

Le jour des morts dans les Catacombes de Paris

Novembre commençait. L’airain religieux
Tintait au jour naissant le culte des aïeux ;
Je m’éveille à ce bruit et mon ame attristée
D’un saint frémissement s’est sentie agitée.
Que ne pouvais-je alors avec Fontane et Gray
Sous les ifs des pasteurs méditer à mon gré !
Mais au sein de Paris si le destin m’enchaîne ,
J’obéirai du moins au penchant qui m’entraîne ;
Ma main sur leur tombeau aurait semé des fleurs,
Aux morts de la cité je donnerai des pleurs.
De l’éternel bonheur puissé-je voir l’aurore !
Mais un double avenir… Je frémis et j’implore.

Près de ce monument où d’un œil curieux
Lalande interrogeait et devinait les cieux ,
Est un étroit sentier qui, plongeant dans la terre ,
Ouvre un gouffre profond qu’une main téméraire
A creusé sourdement sous deux vastes faubourgs.
Quand sur notre horizon, effrayé de son cours
L’astre de la terreur allait semer les crimes ;
Quand le fer préludait , affamé de victimes ,
Au mépris des vivans par le mépris des morts ;
Du nom d’humanité colorant nos efforts,
Quand nos mains à la tombe, autrefois révérée,
Arrachaient des aïeux la poussière sacrée ,
C’est là que par pitié furent amoncélés
Des hommes d’autrefois les restes exilés ,
Sans respect engloutis, étonnés d’être ensemble :
Que de siècles éteints cet abyme rassemble !

A l’ombre de ce temple où de pieux concerts ,
Pour leur ouvrir les cieux , s’élevaient dans les airs ,
Leurs restes reposaient, charmés par l’espérance.
A l’heure ou dans la tour la cloche se balance ,
Sur l’urne maternelle , oubliant son encens ,
Une vierge timide à ses pleurs innocens
Donnait un libre cours ; ou peut-être à sa vue
S’offrait une autre tombe à son cœur trop connue :
Baissant un œil gonflé , dévorant un soupir,
On la voyait soudain s’éloigner et rougir.
Alors on respectait les cendres de ses pères ;
Mais dans ce culte antique un siècle de lumière
Vit un germe de mort , et des âges passés
Les débris par décret de nos murs sont chassés.
Ah ! par une fureur de trop de maux suivie
Avons-nous d’un moment enrichi notre vie ?

Des sauvages Natchés les enfans malheureux
Emportaient en fuyant les os de leurs aïeux ;
A ce roi qui voulait terminer ses misères
Le Scythe répondait : Dirons-nous à nos pères
Sortez de vos tombeaux, il faut suivre nos pas
.
Nous , fils dénaturés , nous ne rougissons pas,
Nous qui de nos aïeux avons proscrit la cendre
De peur que du remords la voix se fit entendre !
Hélas ! dans nos excès , trop coupables neveux ,
Aurions-nous reconnu la voix de nos aïeux ?
Mais par ce souvenir notre gloire est flétrie ;
Le calme a reparu sur ma triste patrie :
Je ne veux point ici rappeler nos forfaits ,
Trop heureux si je puis les oublier jamais !

O vous que je cherchais dans les sombres demeures
Où vos restes glacés ne comptent plus les heures ,
Hommes de tous les tems que la mort réunit ,
Dormez , dormez en paix sous cette immense nuit ;
Je ne viens point ici vous ravir à la terre
Que vous a consacrée une onde salutaire ,
Quand la religion , qu’on vit persécuter,
Consolait votre exil , ne pouvant l’arrêter.
Que les pas d’un mortel n’effraient pas votre cendre !
Avec vous dans ces lieux je dois aussi descendre :
Le tems s’enfuit si vîte et son court avenir
A peine a commencé qu’il va bientôt finir !
Sur un gouffre sans fond un instant nous balance.
Mais je veux de la mort consulter le silence :
Montrez-moi parmi vous la place où le repos.
Sous le sol des vivans se prépare à mes os.
Hélas ! tant d’amertume empoisonne la vie !
Le calice des maux se boit jusqu’à la lie ,
A peine effleurons-nous la coupe du bonheur.
Mais l’orage nous berce et le port nous fait peur ,
Et nous ressemblons trop au nautonnier timide
Qui cherche à s’endormir sur une mer perfide ,
Ou qui , dans la tourmente , abusant sa terreur ,
A son timon brisé s’attache avec fureur ;
L’imprudent a péri , quand un autre plus sage
S’est jeté dans les flots et parvient au rivage.

De la mort cependant le spectacle odieux
Devrait à ses couleurs apprivoiser nos yeux :
Tout ce qui nous entoure est plein de son image.
A chaque jour naissant chaque nuit la présage ;
Santé, parens, amis , tout nous quitte et nous dit :
Le dernier jour approche et peut-être il vous luit.
L’éclat de notre vie est celui de la rose ,
Et quand elle se fane , elle est à peine éclose :
De sa fragilité le passant est surpris.
Le sol que nous foulons est un sol de débris ,
Comme , au milieu des bois inconnus à la hache ,
Le pied du jeune ormeau sous de vieux troncs se cache.
Le présent qui s’enfuit , dévorant l’avenir,
Avant d’avoir vécu nous apprend à mourir ;
Mais non…. Au coup fatal en vain tout nous prépare ,
Nous nous flattons encore et l’erreur nous égare :
Notre esprit se révolte au nom seul de la mort.

De ce dernier sommeil tout animal s’endort
Et l’horreur du trépas ne trouble point sa vie :
L’homme plus malheureux lui doit porter envie ;
Le sort prescrit à l’homme un bizarre destin.
Quel blasphême ai-je dit ? En prévoyant sa fin ,
Si l’homme se révolte , il sent ravir son ame
Loin de cet univers que le néant réclame ,
De sa noble origine il sait la dignité
Et son immense espoir veut l’immortalité.

M’égarant au hasard sous ces voûtes funèbres ,
Ainsi je méditais , quand du fond des ténèbres
A mes yeux incertains , tout à coup arrêtés ,
Versant sur un autel ses lugubres clartés ,
Une lampe a brillé , lueur mystérieuse
Qu’entretient nuit et jour l’huile religieuse.
En longs habits de deuil , là sur des ossemens
Un prêtre offrant au ciel ses vœux et son encens
Appelait du Três-Haut les regards salutaires.
Quel charme s’exhalait de ces touchans mystères.
Célébrés pour les morts sur leurs restes glacés !
Dans l’immense néant des siècles entassés ,
Quand se renouvelait l’auguste sacrifice
Où pour l’homme pécheur s’immole un Dieu propice ,
De quelle émotion fut agité mon cœur !
Oui, mon œil un moment, de l’avenir vainqueur ,
Quand à ces ossemens d’une voix solennelle
Le vieillard promettait une vie éternelle ,
Crut les voir s’agiter, sortir de leurs tombeaux ,
Et chacun en tremblant revêtir ses lambeaux.
Tel , dans un saint transport (pourrais-je sans blasphême
Rappeler un prodige opéré par Dieu même ? )
Un prophête autrefois vit un vaste désert
De membres desséchés et d’ossemens couvert ,
Qui tous prenaient leurs chairs dans cette plaine immonde.
Mais l’esprit a soufflé des quatre coins du monde :
Que sont-ils devenus ? Le vide du néant
Frappa seul son regard dans le chaos errant.

Qu’ils reposent en paix : mon esprit se réveille
A ces mots consolans qui charment mon oreille ,
Et se sent rafraîchi par un calme nouveau.
Arrosant de ses pleurs la pierre d’un tombeau ,
Le prêtre , retiré dans l’ombre solitaire ,
Semblait, pour y descendre incliné vers la terre.
La lampe répandant une pâle clarté
Montrait de son front nu l’auguste majesté ;
Tel le marbre des grands , couvrant d’orgueilleux restes ,
Osa peindre des saints les figures célestes ,
Tel le chœur des vieillards au trône de l’agneau
Chante éternellement l’hymne toujours nouveau.

« Ange consolateur, m’écriai-je , ô mon père ,
Pour prix de tes vertus , à ta sainte prière
Qu’un baume expiateur soit ici répandu !
Du céleste séjour es-tu donc descendu ?
Sans doute à l’Eternel ta voix s’est fait entendre. »
« Pour calmer ces transports , mon fils, je veux t’apprendre ,
Répondit le veillard en répandant des pleurs ,
Et ma première vie et mes longues erreurs.
D’une jeunesse ardente écoutant les vertiges
Et du prisme du monde adorant les prestiges ,
Trop long-tems autrefois on me vit à la cour
Encenser le caprice, ou la beauté du jour.
Ivre de voluptés , savourant le mensonge ,
Je me croyais heureux et ne goûtais qu’un songe ;
Et la voix de mon père en vain à la vertu
Cherchait à rapeler mon esprit combattu :
Au torrent je cédais en m’avouant coupable.
Trompé dans ses désirs , près d’une épouse aimable
Son amour inquiet crut me fixé enfin
Et la jeune Sophie engagea mon destin
Toi que j’ai méconnue , ô trop sensible amie !
O toi qui de bonheur devait semer ma vie ,
De fiel et de chagrins j’empoisonnai tes jours.

Mais de ma folle ivresse allait finir le cours
Quand , au fer du bourreau dévoués pour victime ,
Le rang fut un opprobre et la naissance un crime ;
Je quittai mon pays où s’apprêtait ma mort.
Ma Sophie alarmée a partagé mon sort ;
J’ai senti , mais trop tard, qu’une épouse modeste
Devait seule charmer des jours que je déteste.
Par elle consolé , l’exil me semblait doux ;
Mais d’un rayon d’espoir le destin trop jaloux
Dans mes bras repentans voulut trancher sa vie.
Sous un ciel étranger déposant ma Sophie ,
Epuisant à longs traits la coupe du malheur ,
Les larmes refusaient d’alléger ma douleur :
Tu les vois maintenant inonder mon visage.

Vaincu par l’infortune, enfin je devins sage.
D’une ame sans remords l’espoir religieux
De Sophie expirante avait fermé les yeux :
Aux sources d’où le calme avait coulé pour elle
Je cherchai du repos à ma peine cruelle ,
Des bontés du Très-Haut je sondai les trésors
Et sa miséricorde a béni mes efforts.
Par un tardif encens du Dieu de l’innocence
Je n’osais qu’en tremblant implorer ta clémence ,
Il reçoit aujourd’hui par mes profanes mains
L’holocauste sacré du salut des humains.

Quand le jour du rappel, comblant notre espérance ,
Vint sourire à nos yeux attachés sur la France ,
Quand la patrie en pleurs assembla dans son sein
De ses enfans épars le fugitif essaim ,
Je revins en ces lieux qu’autrefois l’opulence
Faisait gémir du poids de sa magnificence
Et que dix ans d’orage avaient tant dévastés.
A mes embrassemens , mes pas précipités
Promettaient mon vieux père et mes erreurs passées
A ses yeux satisfaits allaient être effacées.
Mais le sort se jouait de mes vœux superflus ;
Ma voix en vain l’appelle : hélas! il n’était plus ;
La hache de septembre avait frappé sa tête ,
Sous les mains des bourreaux, en cette horrible fête ,
Dans le sang des martyrs s’était mêlé le sien.

Sainte religion, tu fus tout mon soutien ;
Sans toi du désespoir l’épouvantable asile
Eût reçu dans son sein une vie inutile.
Mais mon père vivait, il entendait mes cris ,
Peut-être il implorait les larmes de son fils :
Dogme consolateur , ta chaine salutaire
Joint la vie à la mort et la ciel à la terre ;
Besoin du cœur de l’homme, un triste novateur
A-t-il pu de ton culte ignorer la douceur ?
Au bonheur d’espérer était-il insensible ?
Jetés par leurs bourreaux au fond d’un gouffre horrible,
Les martyrs de la France attendaient que des cieux
La trompette appelât leurs restes précieux :
Aux mânes paternels j’apportai mes hommages.
De nos crimes passés réparant les outrages ,
Un pieux monument, pour ces os préparé ,
Les protégeait enfin d’un marbre consacré ;
Et c’est ici , mon fils , que dorment leurs reliques :
Des morts lorsque novembre amenant les cantiques
De la verte nature a flétri la beauté ,
Tous les ans de ces lieux cherchant l’obscurité ,
Je reviens visiter ce tombeau qu’on révère.
Puissent les vœux d’un fils charmer l’ombre d’un père !»

Comme il parlait ainsi , de son regard pieux ,
Son œil mouillé de pleurs sollicitait les cieux ;
Puis trois fois dans sa main un rameau salutaire
D’une douce rosée a rafraîchi la terre ;
Et les morts qu’elle enferme ont reçu nos adieux.
Le vieiliard s’éloignait , et moi silencieux
Je rapportai l’espoir qu’à sa seconde aurore
Novembre dans ces lieux nous reverrait encore.